Un extrait de la légende Ninmah

Les caravaniers arrivaient à la fin du léger repas, lorsque Karim fit observer que les oiseaux, si bruyants jusque-là, s’étaient soudain tus. Ils tendirent tous l’oreille et levèrent les yeux. Les oiseaux avaient presque tous disparu.

Quelque chose d’inhabituel se préparait. Halaf se mit debout. Il pensait à l’oracle. D’un geste bref, il ordonna de se saisir des armes et de se placer immédiatement en position de combat. Cela ne prit que quelques secondes. Ils étaient prêts, l’attention concentrée à l’extrême.

Soudain, Ninmah poussa un cri. Elle tendait le doigt vers le Soleil. Tous levèrent la tête, la main en visière au-dessus des yeux pour se protéger. Il semblait que le disque éblouissant se modifiait. Une zone noire apparut, en bas à droite. Ils n’avaient jamais rien vu de tel. Le noir paraissait s’agrandir petit à petit. Bientôt, ce fut incontestable. Une partie du Soleil était devenue noire. Nessar sortit son œuf d'obsidienne d’un geste précipité, l’éleva vers l’astre obscurci et lança des incantations d’une voix étranglée par l’angoisse.

Peine perdue, le noir gagnait.

Une terreur sans nom serrait le cœur des caravaniers. Plusieurs se tournèrent vers Halaf ; ils espéraient une directive. Mais Halaf était tétanisé par ce phénomène incompréhensible. « Que se passe-t-il ? » se demandait-il, terrorisé. Un dieu maléfique cherchait à dévorer la lumière du jour. Pourquoi ? Pourquoi ? Quelle faute avaient-ils commise ? Comment le faire changer d’avis ? Tous avaient lâché leurs armes, sans que l’ordre leur en soit donné. Nessar avait renoncé à ses prières. Rien ne pouvait arrêter le naufrage du Soleil. Ils étaient tous debout, le visage tourné vers le ciel, impuissants.

Plus de la moitié de l’astre s’était maintenant évaporée. La lumière prit une teinte inconnue, grise, lugubre. On aurait dit que la vie s’était interrompue. Il n’y avait plus un bruit, les animaux s’étaient volatilisés. Pas un souffle d’air. L'Euphrate lui-même semblait s’être immobilisé.

Le Soleil allait disparaître, étouffé par ce monstre noir. Le soir était tombé en plein jour. Dans un instant, ce serait la nuit, la fin du monde. Des femmes éclatèrent en sanglots.

L’obscurité éternelle avait englouti l’univers. Le Soleil avait été dévoré par ce dieu circulaire et malfaisant. La température avait baissé, une fraîcheur brusque saisissait les corps. Autour du monstre noir resplendissait une mince couronne lumineuse, grandiose. Ce devaient être les forces de la nuit. Les caravaniers ne bougeaient plus, ne prononçaient plus un mot. Étaient-ils morts ? se demandaient-ils. Les dieux s’apprêtaient-ils à les juger, à les envoyer au Ciel ou dans les profondeurs de la Terre ?

 

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